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Le sens du mouvement au cinéma

Dernière mise à jour : 13 juil. 2022

Passionné par l'image, j'aime décortiquer de temps à autres les films que j'aime et en saisir le sens profond. Aujourd'hui j'aborde le sens du mouvement au cinéma, une lecture de l'image cinématographique qu'il est évidemment possible de transposer à tout autre type de réalisation, qu'il s'agisse d'une vidéo publicitaire ou d'un film d'entreprise...


Au cinéma, ce que l’on nomme « espace » est en réalité le plan filmique, dont les formats varient généralement entre les ratios 1.85 et 2.35 (1.33 à l’époque du muet.)


Lorsque l’on observe une image cinématographique on peut distinguer 4 axes :

  • X : axe horizontal

  • Y : axe vertical

  • Z : profondeur de champ

  • XY : axes diagonaux

En fonction de ce que l’on souhaite faire passer comme émotion ou message, on exploitera un ou plusieurs axes.



Film « La leçon de piano » de Jane Campion

Synopsis : Ada, mère d’une fillette de neuf ans, s’apprête à partager la vie d’un inconnu, au fin fond du bush néo-zélandais. Son nouveau mari accepte de transporter toutes ses possessions, à l’exception de la plus précieuse : un piano, qui échoue chez un voisin illettré. Ne pouvant se résigner à cette perte, Ada accepte le marché que lui propose ce dernier : regagner le piano, touche par touche en se soumettant à ses fantaisies...


A de nombreuses reprises la réalisatrice néo-zélandaise compose magistralement ses plans afin de nous transmettre, tout en poésie, des informations essentielles concernant les personnages et le récit lui-même.


Résumé du plan : un bateau vogue sur l’eau.

Au début du film (3’50) lorsque le bateau transportant Ada et sa fille Flora navigue, la caméra est placée sous l’eau. A l’image on aperçoit un mouvement qui va de bas en haut (Axe Y) ; un mouvement qui contredit la loi de la gravité et qui annonce déjà des difficultés. Le bateau fend littéralement l'image...


Résumé du plan : Ada et Flora se précipitent vers le piano tandis que George Baines les suit nonchalamment.

Dans la séquence de la plage (23’00), plusieurs plans laissent déjà augurer de la suite de l’histoire. Sur ce plan d’ensemble, la mère et la fille se déplacent de la gauche vers la droite (Axe X). Puisque pour nous, occidentaux, le regard se déplace naturellement dans ce sens pour la lecture, leur déplacement est inconsciemment perçu comme quelque chose de positif.

George Baines suit la même trajectoire qu’elles, certes sans entrain, parce qu’il les regarde encore avec curiosité, mais on retiendra qu’il va bel et bien dans le même sens.


--> On remarque d’ailleurs que dans de nombreux films le « gentil », suit souvent cette trajectoire gauche-droite, tandis que le « méchant » fait généralement le chemin inverse.


Résumé : Flora danse et s’amuse au bord de l’eau.


La caméra suit en panoramique la jeune fille qui se déplace de la gauche vers la droite ; que du positif. Au premier plan apparaît furtivement la silhouette menaçante de Baines, pour nous rappeler que, malgré ce moment de grâce, bien des obstacles les attendent.


Résumé des plans : Baines, qui au premier abord ne semble pas particulièrement ravi d’être là, tombe sous le charme de la musique… et d’Ada.


Dans un premier plan la caméra suit Baines qui se déplace de la droite vers la gauche (panoramique). Cela montre bien que pour le moment il y a encore conflit entre cet homme rustre, illettré et Ada et sa fille.


Cependant Jane Campion nous donne une information essentielle et ne laisse rien au hasard.

Positionné droite cadre et tournant le dos à Ada dans ce premier plan, la situation évolue au plan suivant puisque lorsqu’il est stoppé pour la regarder jouer il se retrouve gauche cadre, comme un « gentil ».

Non seulement il a basculé de la droite vers la gauche, mais en plus sa posture a changé. Ce plan illustre bien la transformation qui commence à avoir lieu chez Baines et on imagine qu’un lien fort est peut-être en train de voir le jour entre lui et Ada.


Résumé du plan : la nuit tombe ; Ada et sa fille repartent, suivies de loin par Baines.

Le dernier plan de cette séquence propose un axe XY. Graphiquement, ce que l’on voit à l’image est très éloquent : trois personnages gravissent ensemble le versant d’une montagne imaginaire.

Si on veut aller encore plus loin dans l’analyse, l’hippocampe dessiné au sol rappelle les Manaïas, créatures spirituelles et mythiques maori, ce qui laisse espérer qu’ils seront protégés dans les épreuves futures...


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« Profession Reporter » de Michelangelo Antonioni

Dans le film « Profession Reporter » de Michelangelo Antonioni, un plan séquence de 7 minutes met en scène David Locke, interprété par Jack Nicholson. Une belle exploitation de l’espace, puisque le réalisateur italien a divisé son cadre en trois parties distinctes :

  • Premier plan : David Locke allongé sur son lit

  • Plan intermédiaire : la grande place ressemblant à une arène et où se passe toute l’action

  • Arrière-plan : occupé la majeure partie du temps par un vieil homme « spectateur »


Début du plan où un lent travelling mécanique avant commence.


Tandis que le premier plan a disparu, on se focalise désormais sur le plan intermédiaire, où des gens se déplacent de gauche à droite et inversement (Axe X).


Tandis que la caméra continue d’avancer en traversant la grille, « la fille » occupe l’espace tantôt au premier plan, tantôt à l’arrière-plan (Axe Z).


Puis, toujours dans le même plan, un premier panoramique droite-gauche nous montre une voiture de police arriver au loin. Un second panoramique gauche-droite s’attarde quelques secondes sur une autre voiture de police qui vient d’arriver (elle apparaît au premier plan), puis continue jusqu’à la découverte du corps inerte de David Locke dans la chambre d’où a commencé le plan (Axe X).


Au moment de réaliser des prises de vues, il est donc toujours important de réfléchir au sens profond de ce que l'on produit, puisque le moindre déplacement ou mouvement a déjà du sens pour le spectateur attentif. Il n'y a même pas besoin d'être un professionnel de l'image pour saisir le sens de ce que l'on perçoit, puisque tous ces messages sont même captés inconsciemment par le spectateur, sans forcément besoin pour lui de tout analyser...


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Références :

Croquis issus du livre « Les techniques narratives du cinéma » de J. Van Sijll.

Film « La leçon de piano » de Jane Campion.

Film « Profession reporter » de Michelangelo Antonioni.

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